Bien le bonjour.
Je me permets ce court billet en terrain miné, espérant que la confidentialité de mon blog m’épargne un shitstorm.
Le 11 janvier, en début d’après-midi, je me rendais au lieu de rassemblement de la manifestation charliesque dans la bonne ville de Grenoble. J’étais plein de doutes et pas certain de marcher avec la foule. J’étais parti observer ce qu’il en était, disons. Depuis plusieurs jours, nous avions beaucoup discuté du sujet avec ma chère et tendre. Nos discussions étaient confuses, embrumées ; une gamme assez large d’émotions polluait la réflexion. Je goûtais peu le caractère presque obligatoire de manifester. Manifester pour quoi d’ailleurs ? Contre le terrorisme ? Pourquoi pas. Pour la liberté d’expression ? Sans doute. Mais alors manifester en désignant les responsables, manifester contre ceux qui arment les terroristes, et, dans le cas de la liberté d’expression, contre les quelques grandes fortunes qui contrôlent une large part des entreprises médiatiques françaises. Hélas.
Mais il y a autre chose. A vrai dire, je crois que les justifications que j’avance plus haut, je les ai largement construites a posteriori. Ce n’était pas vraiment cela qui m’a empêché de me joindre finalement au cortège. (Car oui, après presque une heure d’observation de la foule rassemblée, je suis rentré chez moi.) Il y avait autre chose, quelque chose de plus viscéral, un sentiment sur lequel aujourd’hui encore j’ai du mal à mettre des mots. L’impression de ne pas en être. C’est une impression, ce n’est que mon impression. Je n’ai aucune démonstration sociologique à fournir sur ce point, mais j’ai eu, en quelque sorte, le sentiment que cette foule bourgeoise ne m’avait pas invité.
Je ne remets nullement en question la sincérité des manifestants. Je pense que tous ou presque ont été profondément ébranlés par les épouvantables événements de janvier. Je pense qu’ils avaient besoin de faire corps, de se réchauffer le cœur et l’âme, ensemble, et c’est éminemment respectable. Ce besoin, je l’ai également ressenti, très fortement. Alors pourquoi n’arrivais-je pas à en être ? Les réponses sont sans doute à chercher dans mon histoire personnelle. En y repensant, je me dis que je ne pouvais pas en être pour la simple et bonne raison que je n’en suis pas. Et cela depuis longtemps. Cette partie de la population qui cumule, à des degrés divers, capital économique et capital culturel, je ne suis pas sûr d’en avoir un jour fait partie.
Depuis ce 11 janvier, de l’eau saumâtre a coulé sous les ponts.